Tout a commencé en Février 2010 lorsque Julien évoqua la possibilité de me faire participer à une course en haute-montagne en vue de la réalisation d’une highline alpine. « Du lourd », pensais-je au regard de l’expédition « Dent du Géant » menée par les Bad Slackliners le mois précédent.
"Julien lors de l'expédition hivernale à la Dent du Géant."
J’ai toujours été attiré par l’alpinisme sans pour autant avoir eu la volonté nécessaire pour m’y mettre correctement (un mélange de crainte, de manque de temps et de rencontres). Cette vision de sommets ne me quittera plus jusqu’à la course du Grépon en Juillet dernier.
Après bien des changements de plan (problèmes de météo et d’agendas) et de courses, je suis parti un samedi matin à 6h00 de Strasbourg pour rejoindre Chamonix à 15h. Le Crew était là !Certains un peu fatigués… Faut dire que pendant les 10 derniers jours, ils avaient enchaînés les courses afin de s’assurer qu’un novice tel que moi pourrait en réussir une. Fort heureusement, d’ailleurs.
De suite, je remarque que leurs sacs à dos sont bien plus petits que le mien.
Après une rapide vérification, ils l’allègent du poids de l’inutile (c'est-à-dire du confort).
Nous prenons le téléphérique de l’Aiguille du Midi à 16h pour s’arrêter à Plan de l’Aiguille (2317 m). L’ambiance des retrouvailles et les perspectives de l’ascension à venir nous mettent de joyeuses humeurs durant la marche d’approche...Nous arrivons au pied du Glacier des Nantillons, chaussons les crampons et nous encordons à notre compagnon de cordée. J’ai raz la gorge d’émotion en apercevant le sommet du Grépon et la distance qui nous en sépare… L’heure tourne, il doit être 19h quand nous rejoignons la rimaye des Grands Charmoz, dès lors la course devient, pour moi, un véritable voyage initiatique, un trip de tchètchène !
De loin, la rimaye paraît être une jonction amicale entre le glacier et le rocher. De près, il s’agit plutôt d’une cavité, humide et sombre, dans laquelle on ne souhaiterait pas un seul instant glisser…Le sac à dos et les crampons n’aident en rien ma progression pénible au dessus la rimaye. Julien sait être patient.
"Illustration de la Rimaye."
La progression sur le Rognon se passe bien. Le rythme du groupe s’est fractionné. Seb et Jelena ont maintenant une belle avance, Antoine et Tancrède les suivent de peu, Julien et moi sommes bons derniers. Nous entamons, aux dires de tous, la partie dangereuse de la course : un bref passage, mais toujours risqué, sous un sérac. Le sérac c’est une lèvre de glace épaisse et dégueulasse qui demande qu’à vous benner sur la gueule. Je connaissais pas avant et bizarrement ça ne me manquait pas…
"Illustration d'un Sérac."
Julien m’averti qu’il va falloir marcher le plus rapidement possible afin d’éviter le baiser du sérac. Pendant l’accélération, le cœur a failli me faire gerber ma sédentarité, l’aurait pas fallu que cela dure plus longtemps.
La nuit tombe alors que nous apercevons le pied du Couloir Charmoz-Grépon. C’est à cet endroit que nous devions bivouaquer si l’exposition au vent, ainsi que la neige, n’avait été si présente. Je me gave de barres énergétiques en prévision de l’escalade en mode lampe frontal qui nous attend. La progression verticale nous rapproche les uns des autres. Je commence à sentir mon manque de condition physique, la fatigue s’installe mais le moral reste bon jusqu’aux alentours de 23h-24h. Toujours pas de bivouac en vue…
Je rejoins Jelena qui ne parle plus du tout en attendant l’ultime montée du CP avant le bivouac situé au-dessus. La température a chuté (probablement aux alentours des 0° degrés) et le contact des rochers glacés comme de la neige plonge mes doigts dans une onglée sournoise. J’ai les larmes à l’œil et quasiment la nausée lorsque mes doigts se réchauffent. Jelena attaque l’escalade dans la douleur. C’est de très mauvais augure car elle est bien meilleure que moi, la panique m’envahit. Merde ! J’attaque la paroi tel un sanglier traqué, je jette mes dernières forces dans ce combat.
"Anatomie d'un grimpeur qui n'a plus de discernement"
A chaque pas de ma progression, je demande à être assuré de manière très sèche afin d’éviter de perdre un seul centimètre d’ascension. Je renfougne avec subtilité toutes les fissures qui se présentent.
"Lorsque le centimètre verticale gagné importe!"
C’est en dépit du bon sens que j’atteins le bivouac (à 2h00 du matin) et retrouve mes compagnons en train de finir leur repas. Antoine et Seb se chauffent l’un l’autre pour finir la course directement et dormir sur l’un des Gendarmes. Leurs propos m’apparaissent surréalistes, pour ne pas dire complètement cons. Tancrède fait bouillir mon eau pour le repas car je suis apathique. Nos deux dadaïstes finissent par redescendre de leur sputnik cérébral pour repousser – en toute raison – l’assaut final au lever du jour. Nous installons nos sacs de couchage et essayons de dormir. Les plus habitués d’entres-nous dormirons 3 heures, les autres bien moins. Le vent glacé nous fouette le visage tout au long de la nuit.
Le réveil est agréable, les rayons du soleil donnent un côté sympathique à la montagne. Les corps sont engourdis mais le sommet n’a jamais été si proche. Nous nous levons tous à l’exception de Julien qui vide ses trippes sur la neige immaculée. Il est transi de froid et n’a pas l’air bien du tout. La veille, il a mangé de la rosette glanée par Tancrède dans une poubelle de supermarché. La rosette glanée, oui ! La rosette daubée, non !
Nous préparons le petit déjeuner et plions le camp alors que Julien continue de se répandre. Son optimisme l’amène à penser qu’il pourra nous rejoindre d’ici quelques heures pendant que son corps lui vomi que l’hélico du PGHM serait plus approprié. Mon compagnon de cordée va mal, je resterai donc à ses côtés…L’optique de quitter cet endroit hostile par les airs me plaît beaucoup, d’autant que j’ai déjà vécu mon lot d’aventures. Ce rêve secret est brisé par l’intervention de Jelena qui me souffle « Tu sais Damien, j’ai la chance de pouvoir faire cela souvent alors que toi… Je vais rester au côté de Julien ». Nous recomposons les cordées, Antoine-Tancrède, Sébastien et moi et repartons un peu après 8h00. Je renfougne mieux en plein jour, j’ai l’élégance d’un nasique. 3h30 plus tard nous arrivons au sommet. Je fais la loque sur la « Vire à bicyclette » pendant qu’Antoine et Sébastien, les grands malades, étudient l’art et la manière d’aller poser une highline au-dessus de la brèche Belfour.
"La vire à Bicyclette"
J’ai la flemme de préparer à manger (terrible erreur que je paierai cash plus tard !). Je laisse le soin à Tancrède d’aller mettre des points d’ancrage au tamponnoir sur l’une des tours du Grépon, tandis qu’Antoine et Seb rejoignent l’autre. Quel plaisir de contempler ce paysage, un moment magique et singulier que j’apprécie pleinement. Julien m’averti par SMS que finalement il redescendra en hélicoptère. Nous guettons celui-ci.
Un hélicoptère rouge et jaune s’approche à vive allure de nous pour repérer les lieux. La vitesse d’exécution des ces chirurgiens du ciel est incroyable. En moins de 10 minutes, Jelena et Julien sont hélitreuillés. Les pilotes passent saluer les artistes installant la highline. Il est 15h00 lorsque Sebastien entame la traversée de la highline. Le temps change, les nuages s’élèvent et l’ambiance devient quasi-mystique. Je suis plus qu’admiratif en regardant mes compagnons défier cette ligne de viking. Le combat d’Antoine est particulièrement stimulant et tous traverserons le Bréche Belfour d’une manière inédite. Pas un seul instant il m’est venu à l’esprit de les rejoindre, bien trop vanné pour cela…peut-être une prochaine fois avec un meilleur physique…(c’est beau de rêver !).
"Antoine dans la Highline du Grépon: grosse atmosphère!"
En une demi-heure la ligne est désinstallée. Nous sommes bien en retard puisqu’il est un peu après 16h quand nous commençons à descendre. Vraisemblablement, nous raterons la dernière benne de 18h30 pour Chamonix. Sebastien pense le contraire. « On se sort les doigts et on l’attrape ! ». Il oublie juste que dans l’équipe y’a un handicap de taille ; moi.
La délicate fissure en Z qui permet de rejoindre la vierge est un calvaire dans lequel j’ai bien failli craquer…seulement 40 minutes après notre départ. Je réalise vraiment l’ampleur du dépassement physique qui me reste à accomplir. On avance dans le brouillard, il fait froid, le vent s’en mêle et mon moral sombre. Les rappels se révèlent être lent car j’utilise de manière asynchrone U et Prussik. Mes compagnons désespèrent d’impatience en m’attendant. Sebastien révise son jugement, la dernière benne partira sans nous. En revanche, il me somme d’accélérer afin que nous puissions traverser le Rognon à la lumière du jour. Je m’exécute comme je peux alors qu’Antoine ne trouve pas la ligne de rappel stipulée dans le topo. On s’oriente dans l’inconnu et on tombe sur des relais de fortune laissés par d’autres égarés…Je me souviens particulièrement d’un relais sur un piton pourri sécurisé par des ficellous gâtés par les intempéries et l’excès d’UV.
Il est 20h30 quand nous foulons, enfin, le glacier sous les derniers rayons de soleil. J’ai la naïve impression que nous avons gagné. Seb presse le pas pour atteindre le Rognon avant la nuit. J’avance tel un zombie, le rythme des déséquilibres et autres maladresses entraînées par l’accumulation de fatigue m’inquiète. J’en veux à Seb de me pousser dans mes ultimes retranchements. La traversée du Rognon en pleine nuit devient un supplice. J’ai envie de gazer Seb. Fort heureusement, Tancrède me donne – non pas de la Rosette – mais du saumon, séché par ses soins, aux cacahuètes. Cet apport énergétique est salvateur, il m’aide à finir les lignes de rappels improvisés. La dernière marche semble interminable.
Nous arriverons un peu avant 3h du matin à l’arrêt intermédiaire. On se couche comme on peut, lessivé.
"Une ambiance mystique..."
En conclusion, j’ai jamais vécu quelque chose d’aussi intense, je me suis – paradoxalement – senti vivant, bien vivant. Les courses en haute montagne, dans ces conditions, sont réservées aux masochistes.
Merci à vous 5 de m'avoir mené là-haut...là-bas!