Texte par Thibault Cheval :
Il
y a deux ans, en compagnie d’une bande de copains bien barrées et
hétérogène, j’avais voulu ouvrir une highline entre la Chandelle
et le Trident du Tacul. Par manque de temps et d’effectif nous
avions dû nous contenter de la poser à mi-hauteur de ces deux
imposants monolithes de granit.
C’est
au mois de Juin 2016 que Faith Dickey me parle du projet de Bernhard Witz :
poser une highline entre ces deux tours situées sous l’imposant
sommet du Grand Capucin. Il n’était pas au courant de la ligne avait été ouverte deux ans plus tôt et se montre très enthousiaste lorsque je
lui donne les informations en ma possession sur l’accès, les
voies, etc… Il me propose ensuite de me joindre à leur expédition,
ce que j’accepte avec plaisir.
Après
une très longue conversation via Internet avec tous les
protagonistes, des heures d’organisation à distance, le
rendez-vous est donné pour le mardi 6 septembre à 8h30 au parking
du téléphérique de Courmayeur.
JOUR 1
Julien
passe me récupérer à Chamonix aux alentours de 7h30, nous
chargeons sa voiture du matériel récupéré la veille chez Slack.fr
et nous mettons en route.
Après
avoir traversé le long et puant tunnel du Mont-Blanc nous voici en
Italie, le temps de trouver le parking du nouveau téléphérique et
nous voilà déjà en train de trier notre matériel et de préparer
nos sacs, en attendant Bernhard, Alain et Stephan, le photographe.
Le
fameux quart d’heure savoyard n’est pas le seul apanage des
habitants des bords du lac du Bourget, comme nous le montre l’équipe
suisse-allemande, qui pointe le bout de son nez sur les coups de 9h.
Nous
finissons ensemble le tri du matériel, le chargement de la pulka, et
c’est parti pour trois quart d’heure de queue aux caisses du
téléphérique… Une fois cette formalité accomplie nous chargeons
nos lourds sacs (20kg environ) et notre pulka (50kg environ) sous
l’œil médusé des touristes en short.
Dans
la montée, inspirés par le paysage, nous rêvons à de nouvelles
highlines et de nouveaux exits de BASE jump.
Arrivés
en haut, vient l’heure de chausser les crampons, d’ajuster les
sacs sur le dos, de s’encorder et de répartir les rôles :
Alain Custovic, qui a le sac le plus léger, tirera la pulka. Il sera encordé
avec Bernhard et Stephan.
Julien et moi, encordés et suivant Alain
de près, nous nous relaierons pour maintenir l’équilibre de la
pulka et pour la pousser dans les démarrages en côte.
Notre
équipe ne passe pas inaperçue ainsi équipée !
Après
un peu moins de deux heures de marches entre les crevasses, nous
arrivons à notre emplacement de bivouac.
Le
temps de monter les tentes et nous attaquons directement le
pré-scotchage de la ligne. Une fois cette tâche terminée, nous
prenons chacun de quoi grimper la voie qui nous a été attribuée.
Julien
et moi grimperons la voie Bonatti-Tabou sur la Chandelle (ED-, 6b+)
en hissant un sac rempli de corde et de matériel pour percer et
réaliser un ancrage de highline correct, pendant qu’Alain,
Bernhard et Stephan grimperont la voie Lepiney, en portant les cordes
à fixer sur leur dos, l’inclinaison et le tracé de la voie ne
permettant pas de hisser.
Notre voie se révèle être magnifique, aucune longueur à jeter, de la première longueur en 5c à la dernière en 6a, en passant par le 6b court et intense et le 6b+ plus long et continu, nous adorons chacune des longueurs et passons un très bon moment.
Une
fois en haut nous trouvons un énorme bloc que nous pourrons
ceinturer pour faire un ancrage naturel, nous posons un spit pour
diriger les sangles de l’ancrage dans la bonne direction, racontons
quelques blagues salaces et attaquons la descente, à la frontale
pour Julien, et dans le noir complet pour moi qui ai oublié la
précieuse fée électricité en boite.
Julien et Thibault |
De
leur cotés les copains ont du mal à trouver l’itinéraire dans
leur voie, se perdent, montent, traversent, descendent, remontent…
pour finir à 15m du sommet de nuit, et redescendre en fixant des
cordes statiques jusqu’au sol, de manière à remonter plus
facilement le lendemain.
Il
est 22h quand nous nous retrouvons tous au campement.
Avec
Julien nous nous jetons sur nos bières, préalablement mise au frais
dans la neige, et Bernhard, qui, à notre question « did you
bring beer » n’avait pas répondu, pensant à une blague,
nous regarde avec des yeux ronds avant de nous tendre son godet pour
une petite lampée de houblon !
JOUR 2
La
nuit a été courte et froide. Pour Julien particulièrement, avec
son matelas gonflable crevé qui lui donne une idée assez précise
d’à quoi doit ressembler une nuit allongé dans la neige…
L’idée
était de se lever à 6h45 pour partir du camp à 7h30 et attaquer la
remontée des cordes fixes sur le Trident, pour enfin arriver en
haut, préparer l’ancrage, et finalement hisser la slackline et
conclure l’installation en début d’après-midi et commencer à
faire des essais sur la ligne dans la foulée.
En
voyant arriver Bernhard à 7h25, en train de se servir du lait dans
ses céréales, on a vite compris que la journée ne se déroulerait
pas selon ce plan.
Une
fois tout le monde prêt nous avons reformé les équipes :
Stephan, qui ne se sentait pas de refaire une montée aujourd’hui,
resterait en bas avec Julien et se tiendrait prêt à faire la
connexion une fois qu’Alain, Bernhard et moi aurions fini
d’installer le coté Trident.
Sur
la paroi, l’organisation est simple : Alain et moi remontons
le plus vite possible les 200m de cordes statiques pour finir
l’ascension du sommet et repérer les possibles ancrages, pendant
que Bernhard nous suit en récupérant les cordes au passage, pour
pouvoir les jeter de l’autre côté, en face Ouest, et y attacher
la sangle.
Après
quelques oublis de cordes et de nourriture, nous jetons finalement
les cordes dans la face ouest.
Alain descend en rappel dessus pour
défaire les nœuds que les imperfections de mon lovage ont créé,
et faire la connexion avec Stephan en bas.
De
son côté Julien a attaqué la remontée sur corde sur la Chandelle,
avec la slackline attachée sur lui, pendant que, simultanément, je
m’occupe du hissage de la sangle coté Trident.
Une
fois la ligne au sommet et la connexion Trident-Chandelle établie,
Ju nous fait passer le perfo pour que nous puissions équiper notre
côté.
La
vire où nous nous trouvons étant 15m plus haute que le sommet de la
Chandelle, nous rappelons sur une magnifique arête ciselée pour
trouver un emplacement où faire notre ancrage. De ce côté pas
d’ancrage naturel possible, nous devons poser des spits : deux
pour la ligne, et un en backup.
A
19h, après avoir dû gérer de nombreux problèmes d’organisation
et d’installation, je m’élance enfin en poulie sur la ligne pour
rejoindre la ligne de descente de la Chandelle, suivi de Bernhard.
Une
fois de l’autre côté, Julien nous sauve en nous tendant une
demi-bouteille d’eau ; après une après-midi en altitude, au
soleil et sans rien boire, c’était un bonheur sans nom !
Une
fois en bas, rebelote : bière, pistache, cacahuètes grillées,
les français ont prévu le coup pour l’apéro, et la rigueur
suisse se laisse rapidement attendrir !
Comme
c’est notre dernière nuit, Alain, le cuistot de l’expédition,
nous laisse le choix du menu : ce sera veau aux carottes et riz,
un vrai festin fait maison et mis sous vide en prévision des repas
du soir, chapeau bas Alain !
JOUR
3
Levés
aux aurores pour profiter de la ligne avant de partir, Julien et moi
n’attendons personne et nous mettons rapidement en route vers la
ligne de cordes fixes sur la Chandelle.
Une
heure et 200m de corde plus tard nous sommes au sommet, bien
échauffés, et bien essoufflés.
Le
créneau est mythique, imaginez : nous sommes deux, sur un
sommet pas très grand mais plat et confortable, au soleil, sous une
tempête de ciel bleu, pas un souffle de vent et la ligne pour nous
pour les trois prochaines heures, minimum. Le rêve éveillé.
Julien
monte sur la ligne en premier. Il est tendu. La ligne fait 87m, à
plus de 3500m d’altitude, 200m au-dessus du glacier. Elle est plus
longue que la ligne de sa meilleure perf’, et dans un contexte
autrement plus stressant ! Mais le mental d’un des papas
français de la slackline est toujours là ! Après quelques
catchs et quelques repos, il enchaîne la moitié de la ligne avec un
sourire jusqu’aux oreilles, ça fait plaisir à voir !
Suite
du texte par Julien Millot :
Et
oui, on ne peut pas dire que je m’entraîne régulièrement ces
derniers temps en highline, mais étrangement les sensations et la
facilité du setup (Moonwalk + Backup 8mm dyneema gainé) rendent la
traversée des plus agréables. Etre acclimaté après 3 jours de
haute montagne doit aussi y être pour quelque chose.
Au
tour de Thibault qui passe son premier aller en quelques catchs pour
se détendre, avant d'envoyer un retour avec un départ un peu loin
de l'ancrage pour certains, mais qui justifie pleinement le terme de
traversée à mes yeux. Il y a 3m de différence de niveau entre les
ancrages, assumés à l'équipement car logiques par rapport aux
vires, cela expliquant le lever de retour un peu plus loin que le
bord car nous glissons sur la sangle à cause de la pente.
Faith
est enfin arrivée au camp de base, après un voyage depuis Ostrov
qui pourrait déjà être le sujet d'un film à part entière, prête
à remonter les cordes et faire un peu de highline de haute montagne.
Bernhard et Stephan jumardent déjà, profitant du prétexte de faire
des photos en contre-plongée de nos essais pour reprendre leur
souffle.
L'heure
avance, un aller/retour sur 87m prend bien 45min quand on tombe
beaucoup, je retourne me finir les bras, et prendre un maximum de
plaisir en me faisant rouster car après tout on est là pour ça.
Thibault
fait un dernier aller/retour pour valider, et c'est déjà l'heure de
redescendre.
Nous croiserons Faith dans les rappels, et sa compagne
de voyage Heather au camp de base. La remontée vers le téléphérique
se fera avec des sacs déjà bien lourd, laissant derrière nous la
responsabilité de désinstaller une des highlines les plus
difficiles d'accès au monde au reste de l'équipe. Après tout ils
vont encore en profiter 2 jours, et conclure par une désintallation
sans problèmes après une expédition de 5 jours. Bravo et merci à
eux pour le line service.
Une
équipe d' « anciens », un jeune qui n'en veut, une
pulka, 4 tentes, un camp de base au pied des plus belles voies de
haute montagne du massif, du beau temps, trop de matériel, du fun,
mission plaisir pleinement remplie !
Profil de Thibault Cheval |
Julien Millot |
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